GALERIE DOMINIQUE BERT, 31 rue de Penthièvre, Paris 8e
Lu Yi-Ling, Nouvel accrochage Nocturne Rive Droite le 17 mai de 17h à 23h

ENTRE TRADITIONALISME ET MODERNITÉ, Lu Yi-Ling semble autant explorer les potentialités de l’accident que la maîtrise d’un grand contrôle de son art. Du bout de son pinceau, la matière devient autonome après avoir reçu la juste impulsion sur le papier pour se répandre à sa surface, se laisser absorber et finir son chemin à force de déploiement. L’artiste joue de la ductilité de l’encre en variant les ajouts, de l’essence de térébenthine à l’aquarelle en passant par les couleurs minérales, techniques développées auprès de ses professeurs Qin Lai- Chun, Xiong Yizhong et Zheng Ke-Qi.
Lorsqu’en 2015 Dominique Bert découvre les encres de Lu Yi-Ling, l’enchantement opère : « Je suis tout de suite tombé sous le charme de cette oeuvre si parfaitement originale, à la fois légère et puissante, et plus que tout merveilleusement poétique ». Face au travail de cette jeune artiste, difficile de ne pas se sentir transporté vers des horizons venus d’un autre temps, d’un autre cosmos. Les atmosphères aériennes et vaporeuses, les visions impalpables et poétiques invitent à l’introspection la plus intime. Doucement s’éveillent sous nos yeux des nuages gris perlés, des masses ténébreuses d’acier dont les percées colorées, azurées, orangées ou vert d’eau, sortent parfois du silence. Telle une houle paresseuse, l’encre chinoise se déploie sur le papier en une multitude de dégradés, d’une fluidité des plus délayées à une profonde opacité. Surgissent alors des paysages chimériques où coule une cascade, se dressent des falaises et des plaines infinies, émergent des cieux des nuées bouillonnantes à la fusion des vents et abîmes.

Tout repère mesurable disparaît jusqu’à ce que l’oeil se raccroche à un petit personnage, aux détails d’une branche d’un arbre en fleurs, toujours dessinés avec une noble simplicité. Ces précisions figuratives exacerbent nos sentiments intérieurs en nous faisant ressentir cette impression de n’être qu’un grain de riz parmi l’immensité de la Nature. Son art se place sous l’égide d’une symbiose des contraires en mariant l’infiniment petit à l’infiniment grand, le calme paisible à l’effervescence, le vide désertique à l’abondance, l’esprit oriental de ses racines à une approche romantique occidentale. Chaque oeuvre est une fenêtre ouverte vers la contemplation, une poésie partagée par une rêveuse solitaire, ici un conte retraçant l’histoire d’un coup de pinceau, là un hommage à la nature. Les titres apportent par ailleurs un nouvel éclairage guidant la perception de l’oeuvre. Tourné vers l’avenir, La cérémonie du thé ou Pont dans la brume sont des proses inséparables de l’image, posant des mots-clés sur la compréhension d’une émotion.

Nous vivons alors un moment privilégié, perdu dans l’incommensurable où les notions humaines n’ont plus de sens, où nous nous évadons des servitudes du langage. Et doucement, tel l’instant où le dormeur s’éveille, notre retour à la pleine conscience renaît par cette touche rouge écarlate du sceau, apposée en signature comme la fermeture d’une parenthèse.
Anne-Laure Peressin,
Le magazine L’officiel Galeries & Musées N° 82 < mai / juin 2017, P24-27
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